La bibliothèque préfectorale d’Okinawa ou la bibliothèque armoriée
Dépositaire de la mémoire écrite et sonore de la culture d’Okinawa et des îles Ryūkyū, la bibliothèque préfectorale d’Okinawa occupe une place à part parmi les 58 bibliothèques préfectorales du Japon.
Okinawa et les îles Ryūkyū : une géographie, une histoire, une bibliothèque
Situé dans le Pacifique sud, entre l’île de Kyushū au nord-est, et Taiwan au sud-ouest, l’archipel des Ryūkyū est composé d’une soixantaine d’îles, regroupées dans un périmètre de plus de 3300 km2, avec trois archipels (Amami, Okinawa, Sakishima). Okinawa est la plus grande île, et Naha, sa capitale, est la ville plus peuplée (317 000 habitants). La préfecture actuelle recouvre les archipels d’Okinawa et de Sakishima avec une population totale de 1 420 000 habitants.
Avant de devenir japonaises, les îles Ryūkyū ont été un royaume pendant quatre siècles (1429-1879). Sous emprise chinoise puis japonaise, ce royaume maritime a tissé des liens commerciaux avec plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est. Au fil du temps, une culture particulière, influencée par les cultures chinoise, coréenne et japonaise, y a prospéré avec ses dialectes, ses rites religieux, ses monuments funéraires, ses arts (danse, théâtre, musique, architecture), son artisanat (tissage, verrerie, poterie, laque) et sa gastronomie (cuisine Kyûtei Ryôri).
Lorsqu’il fonde en 1900, la première bibliothèque préfectorale, Iha Fuyū (1876-1947), le père des études okinawaïennes, entend qu’elle devienne le « cœur d’Okinawa », et soit ouverte à tous. Fidèle à l’esprit du fondateur, la bibliothèque actuelle s’inscrit dans cette filiation.
De nouveaux espaces, de nouveaux services
Les raisons qui conduisent les autorités préfectorales à lancer un projet de nouvelle bibliothèque sont très classiques. En service depuis 1983 dans le quartier de Yoriyama de Naha, les installations de l’ancienne bibliothèque préfectorale ont vieilli, le manque de place se fait cruellement sentir et les capacités d’accueil sont insuffisantes. En 2013, une réflexion autour d’un nouveau projet, qui soit à la hauteur des enjeux d’une bibliothèque moderne, alliant conservation du patrimoine, et prise en compte des évolutions technologiques d’une société de l’information, est lancée. Un an plus tard, la programmation de la nouvelle bibliothèque est finalisée. Avec trois buts : autonomie des résidents, diversité des fonctions et des services, créativité par le savoir et la culture.
La taille de la bibliothèque est doublée avec une surface de 13 085 m2. La capacité maximale de stockage est de 2 600 000 unités. Les espaces sont organisées entre des zones d’études (salles de lecture), des zones d’interaction (salle de conférence, salles de travail en groupe, salle de l’heure du conte, espaces d’exposition) et des zones professionnelles (bureaux, magasins, magasin automatisé). On dénombre 530 places assises, huit points d’accueil et de renseignement spécialisé, l’assistance au public étant jugée fondamentale. La bibliothèque propose un espace international avec des fonds en langues étrangères (américain, chinois et coréen), un fonds dédié au secteur économique et aux entreprises et un espace d’information avec des journaux et des revues consultables sur papier et en ligne.
Une nouvelle implantation
Fortes de ce projet ambitieux, les autorités politiques décident de changer l’implantation de la bibliothèque. La gare routière d’Asahibashi et les quartiers environnants sont en cours de réaménagement depuis plusieurs années. Le plan urbain est réparti en cinq districts, avec un quartier d’affaire, des habitations résidentielles, des espaces commerciaux et de loisirs. La bibliothèque rejoint la zone de la gare routière. Avec sa grande avancée triangulaire, soutenue par une série de piliers en forme d’arbres stylisés, et sa façade vitrée, lumineuse de jour comme de nuit, le bâtiment est facilement identifiable. S’y trouvent un centre commercial, un centre d’information touristique sur Okinawa, un centre d’aide à l’emploi et des bureaux. Les travaux de réaménagement sont réalisés entre 2015 et 2018. La nouvelle bibliothèque préfectorale d’Okinawa ouvre ses portes le 15 décembre 2018.
Cette implantation dans le nouveau quartier Kafuna Asahibashi a plusieurs atouts. Entre le monorail mis en service en 2015 qui dessert l’aéroport et la ville, et la gare routière qui constitue un point névralgique important de desserte de l’île, la bibliothèque est facile d’accès. Autre avantage important, dans un lieu passant et largement ouvert, la bibliothèque doit pouvoir toucher de nombreux publics et voir sa fréquentation augmenter. Le quartier est un emplacement privilégié de la ville avec non seulement un centre d’affaire mais aussi un centre administratif important, la préfecture et la mairie étant à proximité. Qui plus est, l’avenue la plus touristique de Naha, la Kokusai-dori, n’est pas très loin.
La bibliothèque occupe quatre niveaux (3ème au 6ème étage) dont trois pour le public, le dernier étage est dévolu aux espaces professionnels. L’organisation spatiale de la bibliothèque s’organise autour d’un grand atrium central, ouvert sur les trois étages de la partie publique. La répartition est lisible avec une bibliothèque pour enfants au 3ème, une bibliothèque pour adultes au 4ème, et le fonds local au 5ème. Les espaces sont confortables, les services, sur place et à distance, variés. Toutes les commodités d’une bibliothèque moderne sont offertes.
Le patrimoine n’a pas été oublié. La bibliothèque préfectorale d’Okinawa est en effet la seule bibliothèque préfectorale du Japon à avoir fait le choix de consacrer un étage entier à son fonds régional. Le but est de donner accès à un fonds de référence unique sur l’histoire et la culture d’Okinawa.
La bibliothèque, mémoire d’Okinawa
On comprend d’autant mieux l’esprit de conservation qui anime les bibliothécaires lorsque l’on connaît l’histoire récente de l’île.
En 1879, le Japon annexe les îles Ryūkyū. Les difficultés économiques se traduisent dans les années 1920 par des vagues d’émigration vers l’Amérique du Nord et du Sud. En 1945, la bataille d’Okinawa, très meurtrière, fait 300 000 morts, soit un tiers de la population, et ravage l’île. La bibliothèque n’échappe pas au désastre avec près de 30 000 documents détruits. S’ensuivra ensuite la longue période de gouvernance et de présence américaine jusqu’en 1972, date à laquelle les îles Ryūkyū sont restituées au Japon. Cependant les bases militaires sont maintenues. Et elles continuent d’ailleurs à faire débat.
Le fonds régional fait l’objet d’un soin particulier. Il s’accroît grâce à une politique d’achat d’ouvrages récents et à un travail actif de collecte pour tenter de reconstituer le patrimoine ancien. La recherche de documents concernant la diaspora japonaise est également un des axes importants. Le fonds ancien a été enrichi avec plusieurs donations (la collection Higashionna Kanjun, première donation en 1963). La bibliothèque numérise au fur et mesure ses collections anciennes.
Au-delà même des collections, la marque de la culture d’Okinawa est présente dans la décoration intérieure de la bibliothèque. Dès l’entrée principale, dans l’atrium, des « hana burokku » (花ブロック, littéralement « bloc de fleur »), utilisés communément pour protéger les habitations du soleil et des typhons, constituent les matériaux de l’imposante cage d’ascenseur. Les balustrades décorées de motifs blancs évoquent la barrière corallienne. La signalétique des collections dans les salles de lecture intègre la faune et la flore locale sous des couleurs différentes. Au gré de la visite, on peut voir une grande copie de la carte du royaume Ryūkyū, et des reproductions de navires, gravées sur les portes vitrées des salles de recherche du fonds régional. Même les abat-jours des lampes sont décorés de motifs de tissus traditionnels.
L’ensemble contribue à donner à cette bibliothèque belle et lumineuse une identité qui lui est propre.
- Architectes : MHS Planners, Architects & Engineers Ltd- RIA Research Institution Architecture / Kuniken Ltd
- Année d’ouverture : 2018
- Bibliothèque intégrée dans un complexe
- Superficie de la bibliothèque : 13 085 m2
- Livres : 878 000