La bibliothèque municipale de Sumoto

Comment une usine Kanebo est devenue une bibliothèque

Avec la bibliothèque municipale de Kita, au nord de Tokyo, qui a intégré une partie des bâtiments d’une ancienne usine d’armement construite après la première guerre mondiale, la bibliothèque de Sumoto est l’une des rares bibliothèques réalisée dans le cadre d’un projet de reconversion d’un site industriel.

L’île d’Awaji, hier et aujourd’hui

Située dans la préfecture d’Hyōgo, Sumoto est la ville principale de l’île d’Awaji. Entre Honshu et Shikoku, sur la mer intérieure de Seto, cette île semble avoir une histoire ancienne. Son nom figure dans le texte le plus ancien en langue japonaise, le Kojiki, datant de 712. Ce texte est à la fois une cosmogonie et un ensemble de récits mythologiques racontant la création du Japon. Selon le Kojiki, l’île d’Awaji aurait été la première île créée par les divinités shintô Izanagi no Mikoto et Izanami no Mikoto. Plus proche de nous, l’île est une destination touristique, prisée de la clientèle japonaise : spécialités gastronomiques, temples et sanctuaires, parc d’attractions, sports de mer et loisirs de plein air, plages et parcs en fleurs pendant le printemps, les atouts ne manquent pas. 

 Depuis la mise en service du pont suspendu du détroit d’Akashi en 1998, l’accès à l’île se fait facilement par la route depuis la ville de Kobé. Il a fallu dix ans pour construire ce pont particulièrement impressionnant, long de près de 4 kilomètres et dont la portée centrale est la plus longue au monde avec 1991 mètres. La voie express Kobe-Awaji-Naruto traverse l’île du nord au sud. La route nationale n°30 longe le littoral oriental de l’île. Des services réguliers de bus au départ de la gare routière Sannomiya  permettent de rejoindre les différents points de l’île.

L'ancienne usane de Kenebo
L’ancienne usine Kanebo. – Brochure éditée dans les années 60

Sumoto et Kanebo

Lorsque l’on visite Sumoto, il est difficile de se douter qu’elle fut, par le passé, une ville industrielle importante. Le début de cette histoire remonte à l’ère Meiji, en 1883, lorsque les filatures Kanebo installent une première succursale sur le site, non loin du port qui donne sur la baie d’Ôsaka, la « Manchester orientale ». Pendant un siècle, l’histoire économique et industrielle de la ville se confond largement avec l’histoire de cette entreprise dont l’activité perdure de nos jours dans le domaine de l’industrie cosmétique.

On peut consulter à la bibliothèque un ouvrage abondamment illustré, intitulé «Kanebo Sumoto factory, 100 years». A travers l’histoire d’une grande compagnie, au gré des chapitres du livre, se déroule le film de l’histoire du Japon moderne, depuis les débuts de l’ère industrielle sous l’ère Meiji, en passant par sa phase d’expansion au début du XXème siècle, puis viennent la seconde guerre mondiale et les années de reconstruction de l’après-guerre, les années euphoriques d’un pays prospère et triomphant jusqu’aux années de crise à la fin des années 70, et le déclin dans les années 80. L’activité des filatures est en perte de vitesse, la société ferme les usines les unes après les autres jusqu’à la fermeture définitive en 1986. Les bâtiments se dégradent, le site devient une friche industrielle.

Vers un renouveau

Au milieu des années 90, la municipalité décide d’un plan de renouvellement du centre ville et se mobilise pour sauver ce patrimoine industriel. Comme il est difficile de conserver l’ensemble du site, certaines parties sont en trop mauvais état, cinq bâtiments, le reste sera détruit, sont conservés pour témoigner de ce passé glorieux. Les arbres qui ont été plantés il y a des décennies, parties prenantes du lieu, sont, autant que possible, préservés. Au final, l’ancien site industriel se métamorphose en une vaste étendue verte, avec un musée, une bibliothèque, un espace commercial et deux restaurants.

Quatre ans sont suffisants pour réaliser la nouvelle bibliothèque, depuis la décision en 1994 jusqu’à l’ouverture en septembre 1998. C’est l’ancien bâtiment n°2 qui est choisi. Si les murs en briques sont en partie récupérables, les parties en bois ne le sont pas. En outre, le bâtiment a non seulement souffert des affres du temps mais il a été fragilisé par le tremblement de terre de Nankaï en 1946, puis par celui de 1995 qui a dévasté Kobé.

 Un chantier de restauration conséquent 

Le résultat est un bâtiment avec une structure en béton armé qui assemble avec brio des parties anciennes, laissées en l’état ou bien retravaillées, mais toujours restaurées, et des matériaux modernes, avec notamment un béton brut, très particulier dont les motifs rappellent le bois de cyprès. Pas moins de 90 000 briques ont été démontées, traitées aux ultrasons puis remontées. Il a fallu faire appel au savoir-faire d’artisans venus de Kyūshū, Shikoku et Ôsaka, fins connaisseurs des techniques de construction datant de l’ère Meiji pour mener à bien le chantier. Les revêtements des murs, de couleur ocre, avec un mélange d’argile, reprennent des teintes que l’on retrouve sur certaines maisons traditionnelles de l’île d’Awaji.

 La brique, symbole de Sumoto

A l’extérieur comme à l’intérieur, c’est la brique, et donc l’histoire du lieu, qui prédomine. L’entrée, coté sud, face aux espaces verts, est pour le moins discrète. C’est en effet par un mur extérieur, percé de portes et de fenêtres avec de solides encadrements en béton, que l’on accède à la bibliothèque. Avant de pénétrer dans la bibliothèque, on traverse une imposante cour pavée, recomposée de briques rouges datant de l’ère Meiji, venant d’anciennes usines de la région. Chaque brique porte une marque d’appartenance qui permet d’en identifier l’origine. L’organisation de la bibliothèque est classique : une section adulte d’une coté et une section enfant de l’autre au rez-de-chaussée, deux banques d’accueil, une par section, des espaces professionnels à l’arrière. 

Au nord, la salle de lecture donne sur une grande terrasse en bois avec pelouse, accessible pendant la belle saison. Un imposant mur de briques ferme l’espace. Des attaches métalliques ont été posées pour consolider l’ensemble. Entre la cour d’entrée et la terrasse, dans son écrin de briques, la bibliothèque est un havre de paix à l’abri du monde. D’allure ancienne mais particulièrement économe en matière de consommation électrique, le bâtiment est une réussite avant l’heure d’un point de vue du développement durable, un soin particulier ayant été apporté à ces questions.

Récompensée par de nombreux prix dont le 16ème Prix de l’architecture, décerné par la Japan Library Association en 2000, la bibliothèque de Sumoto est une réussite, où savoir-faire ancien et technologie de pointe ont été associés pour construire un bâtiment unique qui fait revivre l’une des pages importantes de l’histoire de l’île

  • Bâtiment unique
  • Architecte : Sada Yuichi
  • Année d’ouverture : 1998
  • Superficie : 3 191m2
  • Niveaux : 2

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